LA LIBERTE
Liberté
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable, sur la neige,
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre, sang, papier ou cendre,
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois,
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids, sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance,
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées,
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante,
J'écris ton nom
Sur les champs, sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres,
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer, sur les bateaux
Sur la montagne démente,
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade,
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique,
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent,
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qu s'éteint
Sur mes maisons réunies,
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre,
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite,
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni,
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend,
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence,
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui,
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort,
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître,
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
« Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. »
Francois-Marie Arouet, nom de plume Voltaire
Dans l’Antiquité, un philosophe n’est pas nécessairement, comme on a trop tendance à le penser, un théoricien de la philosophie. Un philosophe, dans l’Antiquité, c’est quelqu’un qui vive en philosophie, qui mène une vie philosophique. Caton le jeune, homme d’Etat du I siècle av. J. C., est un philosophe stoïcien et pourtant il n’a rédigé aucun écrit philosophique. Rogatius, homme d’Etat du III siècle ap. J. C., est un philosophe platonicien, disciple de Plotin, et pourtant il n’a rédigé aucun écrit philosophique. Mais tous deux se considéraient eux-mêmes comme des philosophes, parce qu’ils avaient adopté le mode de vie philosophique.
Et que l’on ne dise pas que c’étaient des philosophes amateurs. Aux yeux des Maîtres de la philosophie antique, le philosophe authentique n’est pas celui qui disserte sur les théories et commente les auteurs.
Comme le dit Epitècte :
« Mange comme un homme, bois comme un homme, habille-toi, marie-toi, aie des enfants, mène une vie de citoyen… Montre-nous cela, pour que nous sachions si tu as appris véritablement quelque chose des philosophes. »
Le philosophe antique n’a donc pas besoin d’écrire. Et, s’il écrit, il n’est pas nécessaire non plus qu’il invente une théorie nouvelle, ou qu’il développe telle ou telle partie d’un système. Le philosophe antique n’a rien à voir avec nos philosophes contemporains, qui s’imaginent que la philosophie consiste, pour chaque philosophe, à inventer un « nouveau discours », un nouveau langage, d’autant plus original qu’il sera plus incompréhensible et peu artificiel. Le philosophe antique, d’une manière générale, se situe dans une tradition et se rattache à une école. Epictète est stoïcien. Cela veut dire que son enseignement va consister à expliquer les textes des fondateurs de l’école, Zénon et Chrysippe, et surtout à pratiquer lui-même et à faire pratiquer par ses disciples le mode de vie propre à l’école stoïcienne. Cela ne veut pas dire pourtant qu’il n’y aura pas des caractéristiques propres à l’enseignement d’Epictète. Mais elles ne modifieront pas les dogmes fondamentaux du stoïcisme ou le choix de vie essentiel ; elles se situeront plutôt dans la forme de l’enseignement, dans le mode de présentation de la doctrine, dans la définition de certains points particuliers ou encore dans la tonalité, la coloration particulière qui imprégnera le mode de vie stoïcienne proposé par le philosophe.
Le stoïcisme est une philosophie de la cohérence avec soi-même. Cette philosophie se fonde sur une remarquable intuition de l’essence de la vie. D’emblée, dès le premier instant de son existence, le vivant est instinctivement accordé a lui-même : il tend à se conserver lui-même et à aimer sa propre existence et tout ce qui peut la conserver. Cet accord instinctif devient accord moral avec soi, lorsque l’homme découvre par sa raison que c’est le choix réfléchi de l’accord avec soi, que c’est l’activité même du choix qui est la valeur suprême et non les objets sur lesquels porte l’instinct de conservation. C’est que l’accord volontaire avec soi coïncide avec la tendance de la Raison universelle, qui non seulement fait de tout être vivant un être accordé à lui-même, mais du monde entier lui-même un vivant accordé à lui-même.
Comme le dira Marc Aurèle :
« Tout ce qui est accordé avec toi est accordé avec moi, ô Monde. »
Et la société humaine, la société de ceux qui participent à un même logos, à une même Raison, forme en principe, elle aussi une Cité idéale, dont la Raison, la Loi, assure l’accord avec elle-même. Il est bien évident enfin que la Raison de chaque individu, dans l’enchaînement des pensées ou des paroles, exige la cohérence logique et dialectique avec elle-même. Cette cohérence avec soi est donc le principe fondamental du stoïcisme.
Pour Sénèque, toute la sagesse se résume dans la formule :
« Toujours vouloir la même chose, toujours refuser la même chose. »
Il n’est pas besoin d’ajouter, continue Sénèque, la toute petite restriction :
« A condition que ce que l’on veut soit bon moralement. »
car, dit-il,
« La même chose ne peut universellement et constamment plaire que si elle est moralement droite. »
Le sage stoïcien est lui aussi l’égal de Dieu, Dieu qui n’est autre que la Raison universelle, produisant en cohérence avec elle-même tous les événements cosmiques. La raison humaine et une émanation, une partie de cette Raison universelle. Mais elle peut s’obscurcir, se déformer par suite de la vie dans le corps, par l’attrait du plaisir. Seul le sage est capable de faire coïncider sa raison avec la Raison universelle. Mais cette coïncidence parfaite ne peut être qu’un idéal. Le sage est nécessairement un être d’exception ; il y en a très peu, peut-être un, ou même pas du tout.
La philosophie n’est pas la sagesse, elle est seulement l’exercice de la sagesse et le philosophe n’est pas un sage, il est donc un non-usage.
La philosophie stoïcienne a donc pour but, comme projet, comme objet, de permettre au philosophe de s’orienter dans l’incertitude e la vie quotidienne en proposant des choix vraisemblables, que notre raison peut approuver, sans qu’elle ait toujours la certitude de bien faire. Ce qui compte, ce n’est pas le résultat ou l’efficacité, c’est l’intention de bien faire. Ce qui compte, c’est de n’agir qu’avec un seul motif : celui du bien moral, sans autre considération d’intérêt ou de plaisir.
C’est là la seule valeur, l’unique nécessaire.
« Ma petite D, « la philosophie te fournira le fond, la rhétorique, la forme de ton discours » (Fronton). »
me répétait mon Père.
Mon père n’a jamais été pour moi la personnification du pouvoir, de la force et de l’autorité. C’est pour cela que je l’aimais. Le calcul différentiel et intégral n’a jamais semblé convenir à sa personnalité. Mais peut-être étais-je victime du vieux préjugé selon lequel les mathématiques sont une science aride et le mathématicien un homme d’une autre espèce. Je n’arrivais absolument pas à comprendre comment cet homme ardent et timide pouvait avoir le moindre point commun avec les théorèmes de Pythagore ou avec le binôme de Newton. Tout cela ne m’intéressait pas à cette époque. Il aimait trouver en moi les qualités féminines et n’essayait jamais de les rabaisser ni de les ignorer.
Il était pour moi la grande personne autour de laquelle tournait la mécanique de la vie.
J’aimais sa perplexité devant mon indépendance précoce.
Puisque son fils était irrémédiablement d’un autre monde, avec une autre philosophie de la vie, une autre morale, alors pourquoi cette petite fille si avide d’apprendre et de comprendre ne serait-elle pas son héritière véritable, l’héritière de ses ruptures et de sa liberté, de son esprit indépendant, de sa culture, de son cosmopolitisme et de son non-conformisme ?
Elle avait eu la chance d’échapper à l’Amour des mères, qui tendait à ramener les filles du côté de la tradition et de la passivité.
En serait-elle moins femme ?
La question ne préoccupait pas mon Père. Il n’aurait su dire ce que devait être une femme.
Une fille sage ou une rebelle à l’humeur imprévisible ?
Antigone. Phèdre, Marguerite de Navarre ou la Princesse de Clèves ?
Mon père, si plein de préjugés à l’égard des femmes, ne pensait pas en ces termes quand il songeait à l’avenir de sa fille. Aux yeux de cet homme qui répétait sans cesse que rien d’humain ne devrait nous être étranger, l’âge et le sexe n’étaient que des contingences secondaires.
Si elle le souhaitait, il l’aiderait à devenir, elle, un individu libre.
Elle serait son prolongement.
Elle le suivrait et continuerait, accomplissant ce qu’il n’avait pu mener à bien.
Elle ne se soucierait pas d’entretenir et de faire prospérer le patrimoine, de perpétuer le nom.
Elle serait quelqu’un, c'est-à-dire quelqu’un d’autre, radicalement.
Il n’aurait osé rêver que je suivisse sa pente à lui, au moins pour ce qui était du nomadisme – on n’est bien qu’ailleurs – et de la liberté solitaire. Et pourtant je l’ai fait, y ajoutant, certes, une forme de conjugalité et une obstination au travail qu’il eût prise, peut-être, pour un acharnement excessif.
Sa mort a été une disparition, non un abandon.
Je n’ai pas eu à me libérer des suites d’une éducation bourgeoise comme Louis Aragon ou Jean-Paul Sartre. J’ai grandi en France à une époque où l’on savait que le vieux monde allait, de toute façon, à sa perte. Personne ne défendait sérieusement les anciens principes, du moins pas dans mon milieu. La contestation était l’air que nous respirions, elle a nourri mes premières vraies émotions. Beaucoup plus tard seulement, à l’âge de vingt ans, j’ai su que j’appartenais de par ma naissance à la bourgeoisie. Je ne me sens absolument pas liée à elle. En tant que classe social, elle a toujours éveillé en moi cependant plus de curiosité et d’intérêt que les débris de l’aristocratie et au moins autant que la classe ouvrière. Mais c’est de l’Intelligentsia, déclassée ou non, que je me sens la plus proche. Me sont étrangers, par contre, ceux qui détiennent le pouvoir, les dictateurs, les triumvirs, les hommes à qui on rend un culte, ceux qui y aspirent, les rois de tout poil. A ces dinosaures, je préfère encore les requins, au sens propre et figuré.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la dimension horizontale de notre existence, les préoccupations de la vie quotidienne auxquelles nous sommes tous confrontés, mais sa dimension verticale, intellectuelle. Peu de gens y accédaient autrefois et de ce fait en avaient mauvaise conscience. A présent, ce n’est plus le cas : il suffit de vouloir lire, réfléchir et savoir. Comme l’a dit Karl Jaspers, point n’est besoin d’apprendre à éternuer ou à tousser, mais la raison, elle, se cultive, car ce n’est pas une simple fonction organique.
Etre philosophe, ce n’est pas avoir reçu une formation philosophique théorique, ou être professeur de philosophie, c’est, après une conversion qui opère un changement radical de vie, professer un mode de vie différent de celui des autres hommes. On considère souvent les conversions comme des événements qui se produisent instantanément dans des circonstances inattendues. Et l’histoire abonde en anecdotes de ce genre : Polémon entrant par hasard, après une nuit de débauche, au cours du philosophie platonicien Xénocrate, Augustin entendant la voix d’un enfant disant « Prends et lis », Saül terrassé à Damas.
Entre parenthèses, il ne serait pas du tout intéressant de connaître, dans tous ses détails, la manière dont s’est déroulée ma conversion à la philosophie.
Bien de points restent encore inconnus pour moi-même.
Pourtant, douée d'une extraordinaire faculté d'imagination qui me faisait embrasser et comprendre ce que mes yeux ne pouvaient me montrer, dès mon enfance j’ai entrevu ce que pouvait être l’idéal d’une vie philosophique.
L'imagination, cette « Magie Sympathique » aide à comprendre les arguments d'un interlocuteur, à ressentir la souffrance de l'Autre, quelque soit cet Autre.
Cette faculté « à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un » amène bien sûr à s'ouvrir à d'Autres idées, à vivre d'Autres expériences. Je ne renonce jamais à un être que j’ai connu, et assurément pas à mes personnages.
Je les vois, je les entends, avec une netteté que je dirais hallucinatoire si l'hallucination n'était autre chose, une prise de possession involontaire.
C'est ce que les sages hindous appellent l'attention.
Nul doute que cette attention, cette propension à se mettre à la place de l'Autre en faisant abstraction de soi, a joué un rôle de première importance dans ma grande ouverture d'esprit face aux Athéismes comme aux Religions, aux Politiques comme aux Philosophies.
Les personnes qui ont accompagné ou croisé ma vie n’ont été vraiment aimées par moi que quand j’en ai fait des personnages, des figures à mi-chemin entre le réel et la fiction - avant même de leur assigner une place dans mon univers littéraire –, puis quand j’ai commencé à les décrire, à les écrire.
Profondément, de ma vie ne m’intéresse que ce qui peut être prétexte à reconstruction littéraire.
« La vie d’un homme est son image… On peut dire alors ceci que j’entrevois comme une sincérité renversée (de l’artiste) : il doit, non pas raconter sa vie telle qu’il a vécue, mais la vivre telle qu’il la racontera. Autrement dit : que le portrait de lui que sera sa vie, s’identifie au portrait idéal qu’il souhaite ; et, plus simplement, qu’il soit qu’il se veut. »
André Gide, Journal, 3 janvier 1892
Restituer, réinterpréter mes lignes maternelles et paternelles, mon enfance et mon adolescence m’a passionnée.
Très peu d'adultes se laissent habiter par des Etres en leur donnant autant d'importance qu'ils s'en donnent à eux-mêmes. Cette magnifique façon d'appréhender le monde de l'intérieur, à l'instinct, est le propre des enfants.
Si les adultes s'en souvenaient, ils éviteraient de proférer certaines stupidités : éviteraient bien de stupidités !
Daniela Zini
Copyright © 2008 ADZ
Nessun commento:
Posta un commento